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Un homme solitaire, reclus volontairement pendant six mois dans une cabane en plein cœur de la Sibérie, que fuit-il? Peut-être rien; mais il est bien là pour tourner un documentaire scénarisé et fort maquillé sur lui-même et sur sa fuite, sur son désir soi-disant fou de se confronter à la nature inclémente et à la solitude.

Seulement, un soir de cet hiver rigoureux, quelques instants avant la période des tempêtes de neige qui s'abat tous les ans sur les terres sibériennes, une jeune fille silencieuse, sans bagage et avec un manteau trop léger, frappe à la porte de l'homme et se fait inviter chez lui.

Cette rencontre improbable prépare un combat mystérieux, gêné et acharné entre deux êtres opposés par une idée qui les réunit ici, loin de leur France natale : la fuite. La fuite, qui est devenue une sorte de salut ultime ou de cri de vie désespéré et impitoyable. Et au gré des quelques mots que la jeune fille lui réserve, l'homme déploie une bataille incertaine et bâtit le cauchemar de sa propre défaite.

[Dans sa première étape de travail, ce projet a obtenu le soutien de l'Université Fédérale de Sibérie, Krasnoïarsk (Сибирский федеральный университет, Красноярск)].

Spectacle en réserve.
Texte : Maurici Macian-Colet

Note d'intention

Fuite idéale dans le territoire du loup est, en quelque sorte, une poétique âpre et désespérée de la fuite. Recours à la fois des lâches et des courageux, la fuite suscite tantôt le blâme, tantôt l'admiration de ceux qui n'osèrent pas la prendre. A mi-chemin entre les lâches et les courageux, une troisième catégorie trouve sa place dans Fuite idéale dans le territoire du loup. C'est la classe des faux fugitifs, des gens qui dissimulent leur vie ratée, la race des désabusés qui jouent encore leur idéal devant un public qui leur fait office de miroir.

Nous avons conçu le personnage de l'Homme, appartenant à cette catégorie étrange, comme un anti-donjuan. Si Don Juan, comédien remarquable, jouait le funambule entre les deux extrêmes de l'amour et de la haine, l'Homme de la Fuite se promène sur ce fil tendu entre le courage et la lâcheté, entre le rêve et la désillusion, entre la vie et la mise en scène. Et comme Don Juan, rattrapé in extremis chez lui par ses crimes et son défi à l'ordre (concentrés dans la statue-cadavre du Commandeur), l'Homme aussi est inexorablement surpris dans sa cabane par cette fuite idéale qu'il a trahie et déjouée (incarnée par une jeune fille inconnue qui fuit). La vraie fugitive, glacée par le froid sibérien, lui rend visite dans sa vie, elle fait irruption, par un pur hasard, sur ce plateau en carton où il tourne le film de son exploit. L'étonnement de l'Homme en voyant de ses propres yeux la fugitive idéale, chimère jusqu'alors de sa vie fictive, rappelle la surprise macabre de Don Juan, qui n'aurait jamais cru possible que les morts se relèvent de leurs tombeaux. Dans cette soirée finale, la Fille devient donc l'ennemi à abattre puisque seulement deux options s'offrent à cet homme menacé : voir la Fille gagner son camp, qui est le camp de la désillusion, ou reconnaître que sa médiocrité douloureuse n'a pas été une fatalité mais un choix. Et ce serait alors la lâcheté insupportable qui gagne.

L'arrivée de cette fille mystérieuse interrompt définitivement le jeu solitaire et illusoire auquel l'Homme avait réduit sa vie. Et, les cartes de son jeu enfin abattues, rien ne pourra plus être comme avant.

Mot de l'auteur

Don Juan est un personnage qui m'a toujours fasciné et je me suis juste amusé à imaginer un Don Juan moderne.

Dans un monde comme le nôtre où heureusement la morale chrétienne ne détient plus le rôle de juge suprême de nos actes, le vrai Don Juan, le Don Juan original, je veux dire, n'est plus un personnage détestable, un être méprisable et démoniaque ayant besoin d'une correction extraordinaire. Son défi, enfin, ne provoque plus l'indignation profonde et effrayée que j'imagine il devait provoquer chez le public il y a trois siècles. La scène finale de Don Juan n'est plus ressentie comme une scène de justice mais comme un dénouement triste et mélancolique du drame, la constatation terrible que l'ordre établi ne peut pas être mis en question impunément. C'est enfin la victoire de la réaction. Dans ce constat, évidemment, le public moderne se contrefout de la misogynie essentielle de Don Juan et de son expédient criminel. On en fait abstraction ; un vrai miracle du théâtre. Ce qui est puni à la fin c'est le courage de l'homme qui défie l'ordre établi ; Don Juan aujourd'hui est un héros, une sorte de révolutionnaire moral. C'est évidemment notre lecture contemporaine et très valable du mythe.

Eh bien, c'est peut-être à cause de mes goûts archaïsants, je n'en sais rien : j'ai voulu justement réécrire un vrai Don Juan moderne qui soit perçu comme l'était jadis le premier Don Juan. Et si aujourd'hui c'est le courage puni qu'on retient de ce mythe, il faut que ce Don Juan moderne soit précisément un burlador (un moqueur) du courage. La fuite que les personnages évoquent toujours d'une façon très vague, très abstraite, dans cette pièce est la fuite un peu folle d'un modèle de vie dominant. La fuite incarne donc, quelque part, le défi donjuanesque de l'ordre établi. C'est pour ça que, pour moi, le personnage de l'Homme, en tant que représentant trompeur de cette fuite, de cet écartement, est ou devrait être un parfait anti-donjuan, un héros de la médiocrité travestie, du cynisme le plus souffrant, hésitant et effrayé qui soit.

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